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La valeur littéraire en question


978-2-913764-43-9

16,00 €
épuisé

La valeur littéraire en question

Textes réunis et présentés par Vincent Jouve

Vincent Jouve

La Valeur littéraire. Est-il possible et légitime d’assigner une valeur à un texte littéraire ? Cet ouvrage apporte des réponses à cette question délicate. Les auteurs s'attellent à ce débat universel, de manière directe et franche. Si l’on n'obtient pas de réponse définitive et arrêtée, la diversité et la richesse des points de vue fait avancer cet épineux questionnement dans nos pensées.

Quatrième de couverture

La question de la valeur est habituellement refoulée dans la réflexion sur les textes littéraires. Pourtant, nous avons tous le sentiment confus que les textes « littéraires » ne sont pas tout à fait semblables aux autres et qu’à l’intérieur de la littérature certains ont plus de valeur que d’autres. Qu’est-ce qui fonde un tel sentiment ? Peut-on avancer des critères qui ne soient pas strictement subjectifs et culturels ? N’est-on pas obligé d’en trouver pour refuser le nivellement des textes et, à terme, la disparition de la littérature ?

Les articles rassemblés dans ce volume acceptent d’affronter ces questions. La valeur littéraire y est envisagée dans toutes ses dimensions (esthétique, économique, institutionnelle, cognitive). La réflexion porte sur sa genèse (qui en décide ? selon quels critères ?) et sur ses fonctions (pourquoi et à quelles fins certains textes sont-ils dotés d’un statut spécifique?). L’enjeu est, finalement, de répondre à la question : à quoi sert la littérature ?

 

Sont réunies ici les contributions de Emmanuel Bouju, Karen Haddad-Wotling, Annick Louis, Brigitte Ouvry-Vial, Franc Schuerewegen, Alain Trouvé, France Vernier.

Vincent JOUVE – Avant-propos

Alain TROUVÉ – Critique du jugement littéraire

Annick LOUIS – Valeur littéraire et créativité critique

Brigitte OUVRY-VIAL – Médiation éditoriale, quatrièmes de couverture et valeur minimum du texte

France VERNIER – La valeur : un leurre ?

Karen HADDAD-WOTLING – Les livres et les bombes. Transitivité et intertextualité

Emmanuel BOUJU – Le geste du Baron de Münchhausen ou l’axiologie de la littérature en question

Franc SCHUEREWEGEN – Faut-il sauver le panthéon littéraire ?

Notices biographiques

Avant-propos

Nous sommes confrontés aujourd’hui à une crise des études littéraires, qui s’exprime par les interrogations suivantes : à quoi sert l’enseignement de la littérature? faut-il le maintenir ? et, si oui, que faut-il y faire ?

Les études littéraires sont en effet menacées de deux côtés.

Si elles ont pour finalité première d’accroître la culture, force est de constater que la culture ne se limite pas à la littérature. Il est donc légitime – voire indispensable – de ne pas parler seulement des textes (et, parmi ceux-ci, pas seulement des textes littéraires). Il existe non seulement d’autres formes d’art (musique, peinture, sculpture), mais aussi d’autres manifestations culturelles (gastronomie, télévision, sport, mode, etc.). Pourquoi être élitiste si l’enjeu est d’avoir la vision la mieux informée qui soit ? La logique serait donc de dissoudre les études littéraires dans les études culturelles. Ce mouvement est, on le sait, largement engagé dans les pays anglo-saxons.

D’un autre côté, si les études littéraires ont pour objet la connaissance du langage (les œuvres littéraires sont avant tout des textes), on est confronté à cette évidence que le langage ne se limite pas à la littérature. Si cette dernière est souvent plus agréable à étudier, elle propose un fonctionnement spécifique, qui ne couvre pas la totalité du champ. L’analyse littéraire devrait donc être complétée par l’étude d’autres faits linguistiques, qui témoignent plus explicitement de certains mécanismes langagiers. Dans cette perspective, les études littéraires devraient tout naturellement s’intégrer à la linguistique.

Objet culturel parmi d’autres et objet de langage parmi d’autres, en quoi le texte littéraire justifierait-il une étude spécifique ?

Il est difficile de répondre à cette question sans aborder la question de la valeur. C’est en effet le critère de la « qualité » qui permet de hiérarchiser les textes littéraires entre eux, voire (même si ce n’est pas toujours assumé) de distinguer les textes littéraires des textes non littéraires.

L’objection ne se fait, bien sûr, pas attendre : dans le champ esthétique, il n’existe pas de définition objective de la « qualité » ; c’est une question de goût et de préférence personnelle.

L’ennui, c’est que, dans la pratique, il est impossible de s’en tenir à une telle position. Quel libraire répondra à un client qui lui demande conseil : « tous les livres se valent, c’est une question de goût, je ne peux rien pour vous » ? Imagine-t-on un universitaire faisant la même réponse à un étudiant ? Le relativisme est encore moins permis aux ministres de l’Enseignement ou de la Culture qui doivent obligatoirement trancher dans le choix des programmes ou des manifestations à subventionner : pourquoi faire étudier Proust et pas Guy des Cars (ou l’inverse) ? pourquoi financer une parade techno et pas « le printemps des poètes » (ou l’inverse) ? Bref, si la littérature n’existe plus pour les théoriciens, elle existe encore pour la plupart des individus et, surtout, pour une série d’institutions (culture, éducation, presse, médias) dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles pèsent lourdement sur notre existence quotidienne.

Les articles recueillis dans ce volume acceptent donc d’affronter la question de la valeur, ce qui ne signifie pas qu’ils y répondent (ni même qu’ils considèrent qu’il soit possible d’y répondre). Mais, au-delà (ou à cause) de la diversité des points de vue qu’ils défendent, ils apportent leur contribution à une réflexion dont on ne saurait faire l’économie.

Pour Emmanuel Bouju (« Le geste du Baron de Münchhausen »), toute réflexion sur la valeur esthétique est prise dans une contradiction indépassable : constater la relativité de tout acte évaluatif ; éprouver le désir de s’en extraire. Le théoricien ou le critique se retrouve ainsi dans la situation du malheureux Baron, essayant de s’extirper du lac en se tirant lui-même par les cheveux. Pour sortir de cette impasse, on peut choisir de s’intéresser, non aux critères de la valeur, mais à leur genèse. Annick Louis (« Valeur littéraire et créativité critique »), après avoir rappelé que le choix des objets d’analyse est, dans le champ des études littéraires, fondé sur des jugements de valeur, engage ainsi une réflexion sur les présupposés à la base de notre discipline et, en particulier, sur le caractère national des traditions critiques. Il n’est donc pas inintéressant d’adopter une démarche empirique en explorant un domaine où la question de la valeur littéraire se pose concrètement : celui de l’édition contemporaine. Brigitte Ouvry-Vial (« Médiation éditoriale, quatrièmes de couverture et valeur minimum du texte ») en examine le double système de valorisation à partir de l’examen du paratexte, et en particulier des quatrièmes de couverture. À défaut de critères sûrs, une solution est de recourir à des étalons objectifs, ou du moins appréhendables. Tel est le parti d’Alain Trouvé (« Critique du jugement littéraire »), qui propose de fonder l’évaluation sur le « texte de lecture », réplique matérielle et personnelle de l’œuvre, qui, en témoignant des parcours empruntés par le lecteur, permet de mesurer la richesse d’une expérience (et de l’objet qui l’a produite). Mais pourquoi ne pas aborder frontalement la question ? Karen Haddad (« Les livres et les bombes ») propose ainsi un point de vue comparatiste. Argumentant que la valeur des textes littéraires tient autant à leur transitivité (comme en témoignent les poseurs de bombes qui s’en prennent à la littérature) qu’à leur intransitivité (en tant que formes inscrites dans l’Histoire et appréciées comme telles), elle en conclut qu’un texte acquiert de la valeur quand il se présente comme comparable, c’est-à-dire lié à ce qui précède sans être réductible au connu. France Vernier (« La valeur: un leurre ? »), plus radicale, défend l’idée d’une valeur spécifique de l’art (et, donc, de la littérature) : en explorant les virtualités inexploitées des modèles symboliques en vigueur à une époque donnée, les œuvres d’art suscitent de nouvelles façons de voir et de penser. Franc Schuerewegen (« Faut-il sauver le panthéon littéraire ? ») constate, dans un dialogue à distance avec Pierre Bayard, que le canon littéraire demeure extraordinairement stable : en postulant une communauté d’esprit chez des écrivains pourtant séparés dans le temps, l’auteur du Plagiat par anticipation n’entérine-t-il pas l’idée que certaines œuvres – qui sont justement celles retenues par la tradition – échappent aux contingences de l’Histoire ?

Au-delà de la diversité des points de vue et de divergences parfois profondes, émergent un certain nombre de points d’accord.

Il y a d’abord consensus sur l’impossibilité de se passer d’une réflexion sur la valeur. Dans la relation à l’œuvre d’art, les valeurs jouent en effet un rôle fondamental aussi bien au niveau personnel qu’au niveau institutionnel. Comme le note Emmanuel Bouju, « aucune théorie relativiste ne parviendra jamais à défaire [cette évidence ], selon laquelle lorsqu’on lit une œuvre littéraire on ne peut éviter de l’évaluer et de prétendre par là au jugement le plus juste ». Il en va de même dans la sphère publique : Karen Haddad rappelle la « nécessité de placer des textes les uns par rapport aux autres sur une échelle, et ce, dans la perspective de l’enseignement et de la transmission»; Brigitte Ouvry-Vial constate que « les acteurs (auteurs, éditeurs, libraires, critiques) du monde du livre et de l’édition, dans la double dimension intellectuelle et marchande qu’on lui connaît depuis le XIXe siècle, ne cessent de s’interroger, voire de mettre au centre de leur pratique, la notion de valeur des textes ». À cette nécessité structurelle d’évaluer les textes semble s’ajouter aujourd’hui, dans un contexte de marginalisation du littéraire, une obligation « éthique ». Alain Trouvé considère ainsi que « l’art littéraire ne saurait se passer d’une évaluation et d’une réévaluation constante, seule à même de contrer l’envahissement par la médiocrité ou la désaffection », tandis que, pour France Vernier, « la conjoncture actuelle impose avec urgence qu’on affronte la question ». Dans cette situation de crise, il ne suffit donc pas de se référer à des valeurs ; il convient de s’interroger sur leur légitimité. D’ou la nécessité, rappelée par Annick Louis, d’«incorporer à la réflexion disciplinaire une analyse de la logique dans laquelle nos démarches se déploient et des valeurs qui y sont attachées ». Dans cette perspective, et si l’on en croit Franc Schuerewegen, le propos de Pierre Bayard s’expliquerait, in fine, par l’obligation de répondre au sentiment d’effondrement des valeurs qui caractérise le monde postmoderne.

La nécessité de s’interroger sur les valeurs se double cependant d’un doute, lui aussi presque unanimement partagé, sur la possibilité d’établir des critères consensuels. Pour Emmanuel Bouju, « définir “ce qui fait la valeur” c’est risquer de s’établir d’une façon ou d’une autre dans un régime essentialiste du jugement axiologique ». La prétendue « évaluation » n’est souvent qu’une tentative (mal) déguisée de « valorisation ». Le jugement sur l’œuvre est d’autant plus complexe que, comme le remarque France Vernier, on ne distingue pas toujours entre « valeur littéraire » et « valeur de la littérature ». Cela explique en partie la grande diversité des échelles de valeur que l’on rencontre sur le plan empirique. Brigitte Ouvry-Vial note ainsi la coexistence, dans le domaine de l’édition, de deux grands types de valorisation : l’un qui met en avant les textes qui expriment « l’air du temps palpable par chacun d’entre nous » ; l’autre qui retient les « textes énigmatiques relevant d’un art qui en tant que tel est d’avenir, anticipe sur son temps ». Même Alain Trouvé concède que, malgré les vertus du texte de lecture, il existe des « limites de validité de la qualité partagée », qui « tiennent aux lacunes de toute performance lectrice et à l’inconscient du lecteur, accessible seulement à des tiers ». Rejetant l’idée d’une littérature (à valeur) universelle, Franc Schuerewegen rappelle que « la catégorie de l’Écrivain est encore inconnue à l’époque de Sophocle [et] que les Grecs ne connaissent pas “notre” idée de la Littérature » ; aucune histoire littéraire ne peut se faire « au prix d’un gommage de toute une série de variables historiques et locales ».

Ce scepticisme n’empêche pas les articles présentés d’explorer un certain nombre de voies permettant d’avancer dans la réflexion.

La première consisterait à mieux prendre en compte la spécificité de l’art littéraire dont le matériau est le langage. Alain Trouvé regrette que « les philosophes de l’art [...] ne paraissent pas toujours prendre la mesure des effets particuliers liés au matériau verbal dont le maniement est en rapport avec les processus de symbolisation et de refoulement pulsionnel ». Dans la même perspective, France Vernier note que « le langage, à la différence des autres systèmes de signes symboliques, est voué à signifier ». Sa remise en cause fait donc de la littérature une force de dévastation (et de renouvellement) particulièrement efficace.

La deuxième piste consiste à replacer la question de l’appréciation littéraire à l’horizon d’une réflexion générale sur les valeurs. Faut-il penser, comme Emmanuel Bouju, que « si l’on accorde quelque valeur au texte littéraire, ce n’est jamais tant au regard d’une axiologie strictement esthétique, ou artistique, ou littéraire (ou générique, ou stylistique, ou...), qu’au regard d’une axiologie globale, multiple, mobile, polémique, dans laquelle le texte littéraire s’inscrit nécessairement » ? Karen Haddad répond par l’affirmative lorsqu’elle replace les œuvres littéraires, de Dostoïevski à Rushdie, au sein des débats idéologiques qui ont conduit les poseurs de bombes à s’en prendre à des textes au nom de valeurs qui n’étaient pas purement esthétiques. Comme le note France Vernier, les valeurs « littéraires » « sont toujours ballottées entre valeur éthique (ou morale ou philosophique...) et valeur formelle (c’est-à-dire, finalement toujours : recours à des canons, ou, ce qui revient au même, à leur “transgression”) ». C’est la conscience de ce lien entre valeur esthétique et axiologie individuelle, voire idéologie sociale, qui conduit Annick Louis à conclure que « si on accepte l’idée que la valeur des œuvres est déterminée par leur usage social, il faut se poser la question de la valeur en amont et en aval de cette question, afin de permettre la constitution des corpus et des canons à partir d’autres critères que celui de la “qualité” ».
Mais aucun des contributeurs ne renonce complètement à l’idée d’une force spécifique du texte littéraire. Il est significatif que toutes les réponses proposées à la question « qu’est-ce qui fait la valeur des textes littéraires ? » s’écartent d’une conception essentialiste pour se placer au niveau de la réception. Il ne s’agit plus de donner une définition universelle de la « bonne » littérature, mais d’identifier ce qu’il peut y avoir de positif dans l’effet, le rôle ou la fonction de ces textes qu’on qualifie de « littéraires ».

Emmanuel Bouju remarque ainsi que, s’il existe encore des « théories universalistes », elles « se réfèrent surtout à la possibilité d’une appréciation intersubjective, fondée sur le modèle d’une pragmatique interactionnelle ». Il demande lui-même que l’on évalue une œuvre littéraire au regard de la manière dont elle se réinscrit dans une « façon de vivre » (celle du lecteur). On n’est pas si loin du point de vue d’Alain Trouvé proposant de mesurer la valeur d’un texte à la qualité des répliques élaborées à son sujet. Plus explicite, France Vernier propose d’adopter comme étalon la capacité du texte littéraire à transformer nos modes de perception, de sensation et d’intellection. Cette question des effets et de la fonction est également au cœur des réflexions d’Annick Louis : il ne suffit pas de se demander pourquoi un objet se trouve à un moment donné érigé en valeur ; il faut également s’interroger sur les conséquences d’un tel geste. Franc Schuerewegen semble répondre à ce programme en pointant (ironiquement) ce qu’il estime être la fonction essentielle du projet critique de Pierre Bayard : « Dans un monde en proie à la déstabilisation et au chaos, entre autres – et surtout peut-être – dans le domaine des lettres, Pierre Bayard apporte un message de stabilité, d’harmonie et de réconfort ».

Au bout du compte, ce qui ressort de la réflexion, c’est que la valeur de la littérature est d’autant plus difficile à saisir et à définir qu’elle est éminemment paradoxale. La littérature est en effet « rupture », « critique », « innovation », mais aussi « conservation »,    « réactivation »,    « aggiornamento »    (France    Vernier). Elle est intransitive (tournée vers elle-même et se réfléchissant dans son écriture) et transitive (comme document humain et parole sur le monde) (Karen Haddad). Elle renvoie à la fois à une valeur « absolue » (liée au mystère et à la transcendance d’une expérience de l’écart) et à une valeur « d’usage » (relative à notre quotidien, que l’œuvre explore et décortique) (Brigitte Ouvry-Vial).
À la fois évidente (subjectivement) et évanescente (historiquement), la valeur de la littérature reste donc fondamentalement instable. C’est pourquoi, à la question posée par ce volume, il est difficile d’aller au-delà de la réponse d’Emmanuel Bouju – auquel on laissera le soin de conclure : « peut-être la valeur de la littérature réside-t-elle précisément dans le fait qu’elle ne nous permette pas de répondre à cette question : seulement de la relancer sans cesse ».

 

Vincent JOUVE

  • Date de parution : février 2010
  • Dimensions : 22,4 cm x 14 cm
  • ISBN-13 : 978-2-913764-43-9
  • Nombre de pages : 158
  • Poids : 240g
  • Reliure : Broché

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